Depuis la salle d’attente où le candidat frémit jusqu’au trajet en train où le recruteur retrouve son candidat, les émotions sont partout.
La relation entre un candidat et un recruteur est complexe, socialement dure à gérer, et jongle entre attitudes professionnelles et influences sur la vie de chacun.
L’entretien de recrutement est un exercice unique. On se jauge, on s’évalue, on se séduit.
Un recruteur n’a pas le droit de poser de questions trop personnelles (et il n’en a pas nécessairement besoin), et pourtant cela n’empêche pas l’entretien d’être un moment de partage et d’échange qui va au-delà du professionnel.
Quand un candidat m’explique pourquoi il veut quitter une entreprise, pourquoi il veut rejoindre celle pour laquelle je recrute ; quand il me fait part de ses motivations, de ses rêves, de ce qu’il aime, de ce qu’il déteste… je suis dans sa vie.
Et, en me partageant sa vie, il entre dans la mienne.
Quand on rit ensemble, on partage un moment que l’on reprendra chacun avec nous, quelle que soit l’issue de l’entretien.
Nous ne sommes pas des robots. Même si je suis là pour prendre une décision rationnelle, ce que le candidat me dit a forcément un impact sur moi. Cela m’affecte, cela m’interpelle, cela me change.
La responsabilité d’un recruteur n’est pas de se fermer à ces sentiments, ce serait de toute façon impossible, mais d’être conscient de leur existence et de les identifier.
« Je sais que je ressens de la sympathie parce que ce que le candidat m’a dit m’a plu »
« Je sais que je ressens de la frustration parce que ce n’est pas réponse que j’attendais »
Les sentiments et impressions dont vous n’aurez pas conscience sont ceux qui risquent de biaiser votre jugement, voire de vous faire utiliser des stéréotypes. Mais ces sentiments existent. Souvent, en rentrant chez lui, le recruteur y repense. Souvent, en sortant de l’entretien, le candidat repense lui à ce qu’il a dit ou à ce qu’il n’a pas dit. Il est satisfait, heureux, ou bien décu, triste, en colère…
Nos interactions sont sociales par nature et nous changent l’un l’autre. Mais un recruteur, c’est aussi un confident. Dans un climat de confiance, le candidat en vient parfois (souvent) à se livrer sur des sujets qui peuvent mettre son interlocuteur mal à l’aise.
J’aime mon métier. J’aime pouvoir échanger avec des individus uniques toute la journée. J’aime pouvoir les aider et leur apporter des conseils. Tout comme j’aime comprendre ce qui les fait avancer et trouver l’opportunité parfaite pour leur permettre d’exprimer leur potentiel.
Mais ça ne se fait pas sans casse. Après avoir passé autant de temps au téléphone ou en rendez-vous, à la fin de la journée un recruteur est souvent socialement et émotionnellement épuisé.
On ne peut pas prendre des G de confessions toute la journée et rester indemne. Alors beaucoup de recruteurs se ferment.
Parce que dire « non » à un candidat, c’est aussi s’exposer à sa déception, à son incompréhension, parfois à sa colère. Et ça n’est pas facile à gérer. Alors les recruteurs disent « merci, on vous rappellera ». Comme à l’examen du permis de conduire dont vous n’apprenez désormais l’issue que par courrier, pour éviter à l’inspecteur de sortir de sa sphère professionnelle. Limiter l’intimité, c’est aussi ne pas avoir à assurer le service après-vente de la décision.
Nous n’avons pas ce luxe. Si nous voulons obtenir de la transparence de la part des candidats, nous sommes obligés de leur en donner.
L’intimité de la relation fait partie du job. Mais c’est ce qui le rend incroyable, non ?
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