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Le plus dur pour un recruteur, ce n’est pas d’apprendre, c’est de désapprendre.

Les recruteurs ont la tête pleine

Tout notre cadre d’évaluation et de jugement est basé sur une vision des compétences datant du siècle dernier et sur un système d’évaluation qui valorise les comparaisons et les « précédents ».

L’évolution des modes de travail, des métiers, et la transformation digitale viennent chambouler nos modèles qui, s’ils n’étaient pas parfaits, s’avéraient satisfaisants jusqu’ici.

Comment faire pour changer des habitudes si ancrées dans nos pratiques qu’elles en sont devenues culturellement reconnues ?



1. L’image du recruteur

Froid, austère, roi de la colline et faiseur de vie et de mort professionnelle autrefois, le recruteur s’est tout permis.

Il a menti, il a insulté, il a émotionnellement détruit.

J’ai vu des recruteurs chasser des professionnels qui n’avaient rien demandé pour leur proposer un job, les faire venir dans leur bureau et là déchainer les enfers sur eux.

Si on leur demandait pourquoi ils se comportaient de manière un peu « abrupte » avec des personnes qu’ils avaient eux-mêmes approchées, ces recruteurs répondaient facilement « Mais c’est comme ça qu’on peut savoir ce qu’ils ont vraiment dans les tripes ! »

On pourra aussi débattre de l’intérêt de générer du stress chez le candidat en entretien, mais dans la très grande majorité du cas cet intérêt est scientifiquement nul. Nul dans le sens de zéro, nada, walou. Le fait est que le stress auquel vous soumettez le candidat en entretien n’est pas du tout le même type de stress que celui qu’il aura à endurer sur son poste de manière quotidienne, ils ne sont pas provoqués par les mêmes causes et ils n’induisent pas les mêmes conséquences. Vous pourriez me répondre que vous n’êtes pas d’accord et que vous « le sentez dans vos tripes », mais je préfèrerai toujours Descartes à St Thomas…

Heureusement aujourd’hui le recruteur ne se comporte plus (ou que rarement) de cette façon.

Le recruteur de 2015 est prévenant, il juge sur le potentiel en même temps que sur les compétences acquises. Il est conscient que la formation ne s’arrête pas à la sortie de l’école et qu’une compétence est trop complexe pour être rangée dans la catégorie savoir-être ou savoir-faire.

Il est prêt à donner de l’information et considère l’entretien de recrutement d’avantage comme un échange que comme un interrogatoire.

Pourtant, l’image du recruteur père fouettard subsiste dans la pensée collective, et est d’autant plus accentuée en France par une image de l’entreprise caricaturée, avec un patron qui n’a ni sourire ni famille et qui est tout-puissant dans son grand bureau (comme le témoigne la récente adaptation française du programme télévisé « The Apprentice » diffusé par M6, dont la qualité oscillait entre « je zappe » et « vite je me mets 2 doigts dans la bouche »).

Alors est-ce que nous, recruteurs, faisons quelque chose pour changer cette image ?

Peut-être, mais pas suffisamment. Je reçois encore trop de mails de remerciements pour me dire qu’un recruteur qui donne une réponse négative, « c’est rare ».

On parle beaucoup de responsabilité sociétale, de marque employeur, de stratégie de communication auprès des candidats à l’échelle de l’entreprise. Mais est-ce que la première étape ne serait pas que chaque recruteur prenne ses responsabilités et réfléchisse à sa propre image avant de penser à celle de son entreprise ? On ne peut pas se cacher derrière une carte de visite ou une entreprise toute sa carrière, et au final notre métier, c’est d’être face à face avec des individus qui seront peut-être (et même sans doute si nous faisons bien notre travail) nos futurs collaborateurs. 

Chaque recruteur qui est un jour arrivé ne serait-ce que 5 minutes en retard à un entretien sans s’excuser, et qui a pensé « ce n’est pas grave si je suis en retard, c’est un candidat », voire même plus grave qui n’y a pas pensé du tout, s’est-il demandé l’image qu’il renvoyait ? Alors que si c’était le candidat qui avait été en retard, nombre d’entre nous l’auraient égorgé sur l’autel de la ponctualité sans hésiter. 


Notre image de recruteurs se construit dans la durée, dans l’échange, dans la transparence et dans la sincérité.

Mais je ne blâme aucun recruteur pour son comportement. On m’a moi-même appris beaucoup de ces comportements que j’ai appliqués par mimétisme au début de ma carrière. Parce qu’ils étaient rassurants et qu’ils semblaient fonctionner (on parle de « validité apparente » d’un outil de recrutement).

Parce que l’on ne peut pas échanger une pratique contre rien. Il faut proposer aux recruteurs des alternatives à leurs questions et méthodes traditionnelles et traditionalistes. C’est seulement en formant les recruteurs différemment que nous pourrons leur apporter des solutions pour remplacer le matériel vieillissant et inadapté de leur boite à outils. Cela est valable pour les recruteurs juniors comme pour les confirmés.

Car si l’on contentait de se dire « pas de souci, jusqu’ici ça marche » sans se soucier de l’image que l’on renvoie, on se retrouverait doucement mais sûrement dépassés par le marché et par des candidats qui ne nous ont pas attendu pour faire évoluer leurs méthodes et leurs attentes.

Et en bonus : on obtient de meilleurs résultats en étant à l’écoute, courtois et poli… incroyable non ?

2. Les critères d’évaluation

Les recruteurs doivent apprendre à ne plus tenir compte de leurs critères de recrutement phares de la même manière. Prenons l’exemple de la formation.

En France, on a longtemps jugé sur les diplômes, favorisant le nombre d’années d’études et la qualité de l’école (d’ingénieur, de commerce, de communication…). Qualité de l’école qui est souvent d’avantage corrélée avec l’argent que vous avez mis dedans qu’avec ce que vous y apprenez (petit troll en passant, mais hormis pour des formations techniques spécifiques, je n’ai dans ma carrière toujours pas vu de lien entre la qualité annoncée de la formation et la qualité réelle du candidat qui en est issu). 

Cette posture va être de plus en plus difficile à tenir pour les entreprises. L’accès à la connaissance et la rapide transformation digitale des métiers rend nos savoirs obsolètes. On s’auto-forme de nos jours beaucoup plus facilement grâce aux innombrables ressources présentes sur Internet, et l’on peut faire appel à l’aide la communauté sur chaque sujet qui nous intéresse lorsque l’on rencontre des difficultés. L’apparition des MOOCs, ces cours en ligne qui amène l’Université chez vous tout en vous apportant un réel suivi, vient concrétiser cette démarche et donner accès au savoir à n’importe qui. 


La formation initiale traditionnelle, au sens où elle a lieu en présentiel avec un professeur qui parle en monologue pendant que les élèves restent assis, n’ont pas le droit de parler ni d’échanger et doivent boire les paroles sans y réfléchir, est un modèle décadent. Dans le monde du travail, ces mêmes personnes seront debout, en petit groupe, et devront apprendre à travailler en équipe et à challenger les idées de chacun pour faire avancer leur projet.

D’ici peu, la formation initiale ne sera plus un indicateur du niveau de connaissances d’un candidat, mais seulement un indicateur d’aspects qui n’ont rien à voir « suffisamment courageux pour faire 5 ans d’études / possède une situation financière qui lui a permis de faire 5 ans d’études / s’est fait un beau week-end d’intégration et des super soirées étudiantes… ».

Les recruteurs, plus que jamais, devront être capables d’évaluer sur des critères réels de compétences, ou bien se doter des outils et méthodes capables d’évaluer la présence des pré-requis nécessaire au développement des dites compétences (faire appel à un recruteur psychologue du travail pour vous accompagner dans cette démarche peut s’avérer utile dans ce cas précis).

3. L’attitude des candidats

Pendant des années on a attendu des candidats qui nous parlent de leurs motivations axées sur l’entreprise. C’était normal, ils étaient voués à passer une grosse partie de leur carrière et de leur vie au sein de la même société. On voulait entendre l’historique de la société pour voir si le candidat avait bien révisé avant l’entretien.

Puis on lui expliquait comment on allait prendre en charge sa carrière à travers une GPEC bien rôdée et un plan de carrière tout prêt de la sortie de l’école à l’entrée en maison de retraite (#VendeurDeRêves).

Aujourd’hui les candidats sont beaucoup plus acteurs de leur carrière : ils ne passent plus autant de temps dans une seule société et s’auto-forment pour améliorer leur employabilité. Ils n’attendent plus de rentrer dans le plan de formation de la société et d’évoluer en interne quand leur heure sera venue.

Internet a mis en contact des millions de candidats avec des millions d’employeurs potentiels, mais a également donné accès à tous les profils qui sont similaires au vôtre. Aussi chacun est capable de se comparer aux autres personnes qui ont une carrière similaire à la sienne, et peut de fait se positionner par rapport au marché, chose qui était impensable il y a encore quelques années !

Cette mobilité et ce déplacement du marché centré sur l’employé plutôt que l’employeur a amené un changement dans l’attitude que l’on attend d’un candidat. Là où souvent le candidat « attentiste » dans sa carrière était favorisé, on recherche désormais des personnes qui sont capables de pousser les limites de leur poste et d’apporter leur pierre à l’édifice. Du coup, non seulement on va accepter du candidat que sa motivation ne soit plus focalisée sur l’entreprise au long terme mais sur son propre parcours (parce que soyons honnêtes, même si l’on propose un beau projet d’entreprise, il est normal qu’il bouge s’il trouve un jour une opportunité qui lui plait d’avantage ailleurs), mais on va de plus en plus souvent rechercher dans ce but des motivations égocentrées avouées et affichées.

De quoi vraiment chambouler les habitudes des recruteurs ! 

J’apprends tous les jours avec plaisir dans un métier en constante évolution. Mais désapprendre est le plus dur, car les nouvelles pratiques ne remplacent pas spontanément les anciennes, il faut choisir de désapprendre et d’abandonner des façons de faire. 

A l’inverse, on ne peut pas sortir de l’équation une solution que l’on jugerait obsolète sans apporter en contrepartie une réponse nouvelle. Si les recruteurs utilisent des outils désuets ou des méthodes inappropriées, c’est qu’ils répondent selon eux à des besoins précis. Donc leur retirer ces méthodes sans leur proposer d’alternative serait beaucoup trop contraignant pour permettre un changement durable, justifié et accepté. 

On parle en psychologie du travail de « validité apparente ». Prenons le temps d’expliquer ce concept. La validité d’un outil ou d’une méthode de recrutement, c’est sa capacité à évaluer réellement ce qu’il est censé évaluer. Par exemple, l’entretien de recrutement standardisé est en général d’environ .35. Pour faire simple, ça veut dire qu’avec juste un entretien de recrutement vous avez environ 35% de chance d’évaluer correctement votre candidat.

La validité dite « apparente », c’est le sentiment que l’on a de la capacité de cet outil à évaluer ce qu’il est censé évaluer. Par exemple, on a longtemps eu le sentiment que la graphologie (j’ai dû me pincer le nez en l’écrivant, excusez-moi) permettait de bien évaluer la personnalité d’un candidat. Alors qu’en fait sa validité réelle est de .00… Donc la graphologie avait une forte validité apparente, mais pas de validité réelle.

Prenons un dernier exemple, celui de la mise en situation. Une mise en situation, c’est quand on soumet un candidat à un exercice qui fait appel aux mêmes compétences que celles qui seraient décisives sur le poste pour lequel on recrute (à ne pas confondre avec une simulation, qui est une mini-situation de travail où l’on retrouve exactement l’environnement du poste). Les mises en situation ont en général de très bons scores de validité, c’est à dire que si elles sont bien construites, elles permettent fortement d’évaluer ce qu’on cherche à évaluer. Mais elles ont un autre intérêt : de par leur caractère très opérationnel, elles sont assez transparentes pour le candidat et présentent une très forte validité apparente ! Pour faire simple, non seulement ces épreuves sont parmi les plus efficaces, mais en plus le candidat qui est en situation a lui-même le sentiment d’être évalué sur des compétences réelles, et il adhèrera d’autant plus au processus de recrutement.

La mise en situation a donc d’énormes avantages : elle permet de mieux évaluer les candidats, elle crée un engagement plus fort, et elle rassure les recruteurs. Elle est en revanche très chronophages à mettre en place, demande d’adopter un état d’esprit et une organisation très éloignée de nos processus de recrutement actuels…

Il existe donc toujours des solutions alternatives et efficaces, pour peur que les recruteurs soient capables de désapprendre !


Le premier jour de ma carrière de recruteur, on m’a donné en conseil une maxime : « Le mieux est l’ennemi du bien« . Je l’ai suivie pendant des années, et cela a fait de moi un bon recruteur. Mais aujourd’hui vouloir « bien » faire n’est plus suffisant.

La guerre des talents s’intensifie, et le paradigme change : si l’on est dans le « bien » et non pas dans le « mieux », le marché rendra notre vision court-termiste et nos pratiques caduques sous la pression de la concurrence (vous savez, ces sociétés que vous retrouvez toujours face à vous lorsque vous recrutez û candidat ?). 

On se doit d’être meilleur et pour cela de rechercher l’excellence et l’innovation. 

Un bon recruteur ne doit pas suivre le marché car au moment où une nouvelle pratique de recrutement est adoptée (i.e. un nouveau canal de recrutement), les meilleurs candidats se sont déjà fait chasser ! 

Un recruteur doit chercher l’innovation, et les meilleurs sont ceux qui créent eux-mêmes l’innovation. 

Finalement, c’est à une autre citation que je fie ma pratique aujourd’hui, et qui me ramène bien plus loin encore, lorsqu’à mon premier jour d’école mon père m’a dit : « Quand on ne fait pas tout pour être le premier, pour le devenir ou le rester, on ne demeure pas le deuxième, on tombe fatalement le dernier. » 

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